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Prof et Maman, femme avant tout.
28 octobre 2013

Enzo et moi

Depuis le début de l'année, je coule des jours heureux dans mon petit collège de campagne. Rien d'étonnant d'après l'Express, qui vient de publier une enquête selon laquelle les trois professions qui rendent heureux sont : cadre de la fonction publique, enseignant et agriculteur. L'hebdomadaire explique ça en disant que ce sont les métiers porteurs de sens qui rendent les salariés heureux, et non un gras salaire ou de grandes responsabilités. Quel scoop ! Pour moi c'est tellement évident...ici

Néanmoins, il y a des jours avec et des jours sans. Et la veille des vacances, c'était un jour sans.

J'étais épuisée, les gamins ne voulaient plus rien faire depuis une semaine (épuisés eux aussi), j'avais utilisé toutes les ressources de mon inventivité pour les maintenir en état d'attention minimale, mais là, vendredi à 16h, je sentais la cocotte prête à exploser.

J'avais les 6eZ, des petits tous mignons qui habituellement font de leur mieux. Mais ce jour-là, aucun n'avait fait le travail demandé. Aucun. Dans leur tête, les vacances étaient déjà entamées. Impossible de fixer leur attention. J'avais pourtant prévu une activité assez détendue, peu exigeante. Mais ils s'en fichaient royalement. Je tentais de garder mon calme mais intérieurement je sentais la pression monter, et arriver le moment où j'allais crier. Chose que je n'aurais pas crue possible...

Soudain je me rappelle que les parents d'Enzo avaient demandé un RDV, et que j'avais fixé une date sur le carnet de liaison. Je demande donc au petit Enzo si les parents sont OK pour le RDV, le jour de la rentrée.

- Je ne sais pas M'dame.

- Mais tu leur a montré ton carnet ?

- Oui, m'dame, mais ils savent pas s'ils pourront venir.

Bien bien bien, surtout rester calme, ne pas se dire qu'on va peut-être poireauter une heure (et payer la nounou) pour rien le 4 novembre... Je profite de ma présence auprès d'Enzo pour lui demander s'il a enfin fait le devoir que je lui réclame depuis 15 jours (et que j'attends pour valider toute la classe sur ce devoir).

- Non, m'dame.

- Pourquoi ?

- Je sais pas m'dame.

Bien bien bien, surtout ne pas s'agacer, considérer qu'Enzo a des difficultés, que l'entrée en 6e l'a certainement perturbé, qu'il ne gère pas bien son cahier de textes, bref, que je suis sûrement trop exigeante avec ce petit.

J'entreprends donc de lui réexpliquer pour la 5e fois ce qu'il doit faire, et cherche dans son cahier l'énoncé du devoir en question. Là, horreur, je me rends compte que pas un cours n'a été pris correctement, que tout est mélangé, qu'il manque la moitié des photocopies que j'ai distribuées... En 7 semaines, Enzo a transformé son beau cahier tout neuf en un horrible champ de bataille. Et pourtant, dieu sait que je suis attentive à tout bien expliquer et répéter sur la tenue du cahier... surtout en 6e.

Bien bien... NON ! Pas bien ! Soudain la colère m'envahit. Je me mets à crier sur Enzo, en lui disant que ce n'est pas possible de continuer comme ça, qu'il doit se réveiller, que le cahier doit revenir impeccable après les vacances, etc.

Au bout d'une minute, ma rage retombe tout à coup. J'ai honte. Honte d'avoir été violente dans le ton envers ce pauvre gamin qui n'arrive pas à faire ce qu'on lui demande, à s'organiser et à répondre aux impératifs de l'Ecole. Je vois bien dans son regard qu'il est habitué à ce genre de représailles. Et ça me fait mal pour lui. Sûrement des années que des profs s'agacent de ses incompétences, le menacent, l'apostrophent et lui disent ce qu'il ne sait que trop bien... : qu'il n'est pas à la hauteur.

Dans la classe, le silence est désormais total. C'est la première fois que les élèves me voient m'énerver, ils me regardent comme si j'étais une autre personne. J'ai honte.

Le cours reprend dans le calme. Personne n'a envie de se voir malmener, alors ils rentrent la tête dans les épaules et espèrent que l'orage va rapidement s'éloigner. L'orage, en l'occurrence, c'est moi.

Autrefois, j'aurais considéré cet épisode comme tout à fait normal. Je suis une prof qui a de l'autorité, je n'ai jamais eu de chahut dans mes classes, et exiger des efforts de mes élèves m'a toujours paru le minimum. Mais depuis que j'ai fait un détour par d'autres métiers, je ne suis plus la même prof. Je n'avais qu'un mot à la bouche, durant mes 15 premières années d'enseignement : RIGUEUR. Je voulais enseigner à mes élèves la rigueur intellectuelle, l'exactitude, la précision, afin de les amener à une auto-discipline, que j'estimais nécessaire pour réussir le parcours scolaire. Or Enzo (et tant d'autres), c'est l'absence de rigueur incarnée. Mon vieux "moi" a ressurgi ce vendredi veille de vacances de Toussaint, du fait de la fatigue sans doute.

Non ce n'est pas normal de crier sur un élève, même s'il ne fait rien de ce qui lui est demandé au sein du collège (de l'école, du lycée...). J'ai appris que tout le monde fait ce qu'il peut, à la hauteur de ses moyens. Et que parfois, des moyens, on en a peu. C'est le cas d'Enzo et de bien des élèves qui passent dans mes cours et dans ceux des autres. Ce gamin aux allures pataudes, au regard contrit, a certainement une vie qui ne lui permet pas de mobiliser suffisamment de ressources pour répondre aux exigences scolaires les plus basiques. Et le prendre en compte m'aidera à l'aider bien mieux que toutes les colères.

Depuis 10 jours que cela a eu lieu, je reste dans le repentir. Et j'ai hâte que la rentrée arrive pour pouvoir présenter mes excuses à Enzo, n'en ayant pas eu le temps le jour J. Je lui demanderai pardon pour ma colère, pas pour mes exigences, que je vais maintenir. Mais désormais je serai plus souvent près de lui pour l'aider à bien tenir son cahier, je téléphonerai à ses parents en cas de besoin, et je lui demanderai de faire en classe les travaux, si besoin est.

Ce n'est pas difficile, dans le fond, de changer de stratégies. Il suffit d'écouter son coeur, qui est un excellent guide pour tout. Je pourrais me dire que je vais punir Enzo, l'avoir à l'oeil, déployer la panoplie répressive, comme le font tant de collègues. Au bout d'un moment, cela fonctionnerait certainement, car ce n'est pas un rebelle. Mais je préfère largement aller vers lui avec bienveillance et compréhension, et lui laisser le temps de parvenir à quelques réussites, aussi minimes soient-elles. Au moins, me dis-je, se sentira-t-il en sécurité dans mon cours. Et cette sécurité lui donnera peut être le courage et l'envie de se dépasser. Pas sûr, mais cette stratégie là a le mérite de me permettre d'être en accord avec moi-même. Et c'est exactement pour cela que je me sens bien dans mon métier : parce que je le pratique avec intégrité.

 

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Commentaires
P
J'approuve ! Enzo aura peut être déjà oublié cet épisode, il a l'air cool, le bout de chou.
Prof et Maman, femme avant tout.
  • Je vis avec des enfants, tout le temps. Les miens et ceux des autres. Et ce n'est pas tous les jours facile. Petit panorama d'une prof et maman qui n'oublie jamais que le bonheur, ça se décide.
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